Broye Il règne un silence de cathédrale dans la cave de l’abbatiale, à Payerne. Sous les majestueuses voûtes reposent d’imposants tonneaux de chêne. Conservant le souvenir de la vinification du vin de la Cité de la reine Berthe. Le lieu est chargé d’histoire. En son centre, Gilles Musy, 35 ans, de Delley, commente: “Cet endroit dégage de la puissance.”
L’homme à pris les rênes de cette cave le 1er avril 2019. Sa fonction d’oenologue l’amène à voyager entre Payerne et la région de Lavaux, où a lieu la ville possède 13 hectares (lire ci-après) et où a lieu la vinification. Lui ne cultive pas les vignes, qui sont soignées par un tâcheron, Nicolas Pittet. Il est chargé de la vinification, de la mise en bouteille, de l’étiquetage et de la vente. “Bien sûr, je vais quand même voir la vigne, car c’est là que se fat réellement le vin”, sourit Gilles Musy.
Guider les vins
De la cave, il se dirige vers le KVO, bar à vin payernois où est servi le breuvage de la ville. Il raconte, sur un ton enjoué, avoir suivi toute sa scolarité dans la Broye fribourgeoise, du côté de Delley et de Domdidier. Il dit s’être cherché durant quelque temps et s’être essayé à différents stages jusqu’à ce que son chemin le mène à la vigne, précisément au Cru de l’Hôpital à Môtier, dans le Vully, Déclic. Il se lance dans un CFC de vigneron. “J’avais besoin d’être en contact avec la nature, c’est ce qui me manquait sur les bancs du collège”, explique Gilles Musy en ajoutant que son attachement à la terre lui vient de sa campagne natale, même s’il n’est pas né dans une famille de vignerons. Vêtu d’un jeans, sa doudoune sur le dos, les cheveux bien coiffés, il s’exprime avec des phrases courtes qu’il enchaîne vite. Il a les idées claires et sait où il va.
Le domaine de Payerne, un outil à faire fructifier
Insuffler un nouveau dynamisme dans la Cave L’Abbatiale, anciennement appelée cave communale de Payerne, telle est l’ambition de Gilles Musy, oenologue qui a repris les rênes de la cave, le 1er avril 2019. La ville de Payerne est propriétaire de 13 ha répartis entre Epesses, le château de Montagny, à Aran, et celui de Bertholod à Lutry. Parmi ceux-ci, 7 ha sont mis en bouteille, 3 ha sont en location, 1,5 ha a été arraché pour trois ans à cause d’un chantier des CFF et 1,5 ha est vendu en vrac. La production de vin représente actuellement environ 75’000 bouteilles par année, commercialisées uniquement à Payerne. Dès 2024, l’entier du domaine reviendra à la Cave L’abbatiale qui devra alors écouler toute la production.
Actuellement en déficit la Cave L’abbatiale doit rationaliser ses coûts. Dans cette optique, les étiquettes seront revisitées et changées. Quant aux bouteilles, elles seront uniformisées. Ce lifting devrait permettre d’économiser environ 25 000 francs par an, indique l’oenologue. Le prix des bouteilles va légèrement augmenter, puisque leur contenance va passer de 70 cl actuellement à 75 cl. Gilles Musy entend par ailleurs mettre les bouchées doubles pour vendre davantage de vins aux privés en participant à des manifestations, comme Divinum à Morges ou en organisant des caves ouvertes payernoises (du 4 au 8 juin). Le caveau communal sera aussi rénové, notamment pour accueillir des groupes. Par ailleurs, Gilles Musy compte viser la gastronomie. À long terme, il entend développer des vins haut de gamme tout en conservant ceux de qualité moyenne.
Enraciné, Gilles Musy n’a pas quitté Delley où il s’est installé avec sa compagne qui a deux garçons de 10 et 6 ans, ainsi que leur fillette de 2 ans. Il dit regretter de ne plus avoir le temps pour les hobbys, notamment le football. “Les horaires sont compliqués, car pour vendre le vin je dois être disponible le soir ou les week-ends. Et puis, j’ai envie de passer du temps avec les enfants.”
Passionné par son métier, Gilles Musy ne se cantonne pas à son CFC. Il obtient une maturité professionnelle, sésame qui lui permet d’intégrer l’école d’ingénieur oenologue de Changins. Il en est diplômé en 2010 et est engagé à Praz dans le Vully, chez Jean-Daniel Chervet. Il reste neuf ans dans cette entreprise, durant lesquels il apprend toutes les bonnes pratiques du métier : “En tant qu’oenologues, nous guidons les vins, nous les ressentons, mais nous ne pouvons pas les modifier”, répète-t-il comme un mantra. Il évoque une expérience enrichissante l’ayant conduit jusqu’en Alsace ou dans le Languedoc. “Chaque année, nous faisons des essais dans la vigne ou dans la cave, cela m’a permis d’évoluer rapidement.” Il apprécie ce dynamisme qui est aussi un trait de son caractère.
De ces propres ailes
Quand la chance de voler de ses propres ailes se présente, l’homme n’hésite pas à la saisir. Il arrive à la cave payernoise sans connaître le domaine. Engagé par la commune, il est libre de le développer ainsi que le vin, comme bon lui semble. Il se réjouit d’ailleurs de mettre le nouveau millésime en bouteille en avril ou mai. Lorsqu’il parle de l’avenir de la cave, Gilles Musy ne semble pas douter. Il se dit fonceur, même s’il se remet en question: “Dans notre métier, la nature avec ses caprices nous pousse à le faire, nous devons adapter notre travail.”
Son vin préféré ? Les blancs qui ont du mordant, de l’acidité et les rouges puissants et structurés. Fier de la profession, ses yeux pétillent lorsqu’il explique un métier un peu mystérieux pour les gens qui ne le connaissent pas de l’intérieur. Une ambition ? “J’aimerais, lorsque j’aurais 60 ans, pouvoir ouvrir une bouteille que j’aurais vinifiée dans le passé, goûter le vin et me dire que j’ai fait du bon travail”, sourit-il avant d’ajouter en toute modestie: “Être à la tête de 13 hectares est déjà une réussite pour moi, maintenant j’ai envie de faire fructifier ce domaine.”
Marie Nicolet
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